Lot de consolation-ft Aileen

Simon avait invité Aileen au restaurant. Rien de plus normal en soi. Aileen était mariée au frère de son beau-frère. Comment ça, c'est compliqué ? Sa sœur Cordélia s'était mariée avec le frère aîné de l'époux d'Aileen. Simon et Aileen partageaient les mêmes neveux. Enfin, peut être plus pour longtemps, car Aileen et son mari étaient en instance de divorce. C'était toujours triste, du point de vue de Simon. Et ce n'était jamais facile à vivre.

Ils s'étaient rencontrés au mariage de Cordélia et Walt, Aileen n'était pas encore mariée. Si certains membres de la famille l'avait trouvé froide et hautaine, ce n'avait pas été le cas de Simon. Il faut dire qu'il avait pris le temps de discuter avec elle, et il s'était rendu compte qu'elle était agréablement cultivée et qu'elle avait des opinions tranchées, certes, mais pertinentes. Et finalement la "froideur" d'Aileen était bigrement reposante du point de vue de Simon : nulle crise d'hystérie à l'horizon, des émotions parfaitement contrôlées... Lui qui détestait les drames, cela lui allait fort bien.
Elle s'était installée depuis peu à Hashford Hill. Donc évidemment qu'il se devait de l'inviter. Elle faisait partie de la famille, n'est-ce pas ?

Il l'avait donc invité au restaurant. Pas n'importe lequel. D'abord, il était impensable que Simon Shrewsbury aille dans un fast food, ensuite, il estimait qu'une femme se devait d'être dans un écrin approprié. C'était une question de correction. Et vu que l'argent n'était pas un problème... Il attendait donc, dans le patio d'un des restaurant les plus chics de la ville. L'été donnait au soir sa douceur fraîche, et il était bien plus plaisant de manger dehors, à la lueur des led astucieusement placées. On entendait peu les bruits de la ville. Le vrai luxe était le calme feutré.
Il attendait et donc il lisait, évidemment. Un recueil de nouvelles d'Henry James.
Quand Aileen arriva, il posa son livre et se leva, bien sûr. Il la salua d'un sourire. Ils n'étaient pas assez proches pour qu'il ose lui donner une accolade et il n'allait pas lui faire un baise main. Il aurait pu, mais il passait déjà pour un excentrique, inutile d'en rajouter.

"Bonsoir Aileen. Tu es toujours aussi ravissante. Comment vas-tu ?"

Simon lui tira sa chaise afin qu'elle puisse s'asseoir, et alla retrouver sa place à table. Il l'observa : sous le maquillage léger, il croyait bien voir des cernes. A moins que ce ne soit la tristesse dans ses yeux qui fasse de l'ombre.

Lot de consolation

Aileen se trouvait dans sa salle de bain, elle terminait de mettre la dernière touche de blush avant de quitter son appartement qui se trouvait dans le quartier popular boyle. Elle s'y était installée en 2019, lorsqu'elle et son mari ont décidé de vivre à Hashford Hill pour de bon. Terminé les allers-retours entre Hashford Hill et Glasgow, la native de Hashford était de retour au bercail. Loin de Gillespie zone, là où réside les MacRae, elle n'avait pas envie de les croiser tous les jours, bien que depuis qu'elle est séparée de son mari, son père ne cesse de lui demander de revenir dans la grande demeure familiale. Il est vrai qu’elle y pense de plus en plus, ce ne serait pas mal d’être entouré de sa famille, surtout en ce moment. Un divorce qu’elle n’a pas vu venir, enfin, un peu. Ils étaient trop pris par leur carrière respective, des concessions, des compromis pris un peu trop tard selon la jeune femme. Pourquoi est-ce toujours à la femme de se sacrifier ? Rajouter à cela, une Aileen méfiante et qui a du mal à faire confiance. Vous arrivez donc à un divorce, qui est certes, toujours en cours mais dont l’issue était plus que défavorable.

Elle n’avait pas eu de mal à trouver l’établissement où elle l’avait invité, elle connaissait la ville comme sa poche. Elle n’était pas surprise que Simon l’invite dans un restaurant aussi chic, ce qui l’aurait surprise c’est qu’il l’invite au snack du coin. La brune aimait ce genre d’établissement, il y régnait le calme qu’elle cherchait. Il faut dire qu’avant de venir ici, elle avait eu un rendez-vous avec son avocat pour le fameux divorce. Disons qu’elle n’était pas d’humeur, elle pouvait rapidement s’emporter et reporter sa frustration sur les autres alors elle faisait un grand travail sur elle-même. Elle savait qu’elle était ainsi et elle avait appris à se maitriser. Alors, c’est le sourire aux lèvres qu’elle se présenta devant Simon. Bien qu’ils n’étaient pas très proche, leur rencontre n’étant que le résultat d’alliance familiale, elle avait été ravie d’avoir été invité, elle avait besoin de changer d'air. Elle savait qu’elle pourrait compter sur lui pour passer un bon moment.

« Bonsoir Simon. Je te remercie. Disons que je vais bien et toi ? » lui répond-elle alors qu’elle s’installa à sa chaise. « C’est un très bel endroit que tu as choisi et le patio, c’est parfait. Je ne m’attendais pas moins venant de ta part.» dit-elle alors que son regard se tournait vers les alentours.

Aileen allait bien ? Vraiment ? Simon n'en était pas sûr mais n'allait pas être un goujat et sauter à pieds joints dans le plat. Si Aileen souhaitait parler, et bien, elle le ferait. Simon était là pour qu'elle passe un bon moment, c'est tout.
La lumière des petites leds adoucissaient les traits d'Aileen. La jeune femme avait pris le temps de s’apprêter sans trop en faire. Ce qui signait la vraie classe selon Simon. Son mari était un crétin fini. Quand une femme comme Aileen vous faisait l’aumône de son affection, le minimum était de se débrouiller pour ne pas la perdre.

"Il fait trop bon pour rester enfermé. Merci Aileen, je crois que nous le méritons amplement, n'est-ce pas ?" dit-il avec une pointe d'humour dans l’œil.

Simon n'était pas pédant. Loin de là. Aileen savait très bien de quelle famille il venait. Et souvent, il se moquait de sa condition d'aristocrate, comme là. Comment se targuer d'un hasard de naissance ? C'était du plus haut ridicule.

"Alors, l'université ? Est-ce que cela te plait ? Je t'admire. Honnêtement, je n'ai pas pu me faire aux étudiants, même quand j'en étais un. C'est dire."

Un serveur s'avança vers eux, attendant le moment opportun pour ne pas briser la conversation et leur demander ce qu'ils souhaitaient boire. Simon regarda Aileen. C'était à elle de se prononcer d'abord. C'était l'usage.
Si il était capable de boire un verre ou deux d'alcool, Simon savait que sa capacité s'arrêtait là. Il était devenu expert à donner le change et à mettre une soirée entière à finir un verre, sans que personne ne réalise que le verre n'était pas rempli à nouveau. Il n'aimait pas les mondanités plus que cela, bien qu'il ne puisse rarement échapper aux soirées organisées par ses parents quand il y était. Déménager en Ecosse avait été de ce point de vue, un vrai coup de génie. Cela avait diminué considérablement le nombre de soirées ennuyeuses qu'il devait se coltiner. D'autant que sa mère prenait soin de toujours inviter d'insipides jeunes femmes dont il était censé tomber amoureux en deux secondes. La plaie intégrale !

Lot de consolation

Simon avait entièrement raison, le temps était idéal, pourquoi ne pas en profiter ? Quand on sait que l’Écosse n’est pas connu pour son beau temps, alors quand il y en avait, autant se mettre à l’extérieur. Ajouter à cela le cadre exceptionnel de l’endroit, on se sentait tout de suite bien. Rien qu’en arrivant, elle se sentait déjà plus détendue. Elle pouvait mettre ses soucis de côté, et ce pour un petit moment. De plus, elle savait que la nourriture était excellente, elle pourrait se permettre même un petit dessert vu qu’elle avait fait attention toute la semaine. Son entourage ne comprenait pas qu’elle fasse attention à tout mais avec son petit mètre 57, elle devait faire attention, quelques kilos en trop, ça se voyait rapidement. Une taille qu’elle faisait semblant d’assumer mais vous ne la voyez jamais sans ses talons d’au moins 8 cm au pied. « Tu as bien raison, nous l’avons bien mérité et rien n’est jamais trop beau pour nous, n’est-ce pas » répondu-t-elle en plaisantant. Tous les deux avaient l’habitude, ce genre d’établissement, c’était le minimum. Aileen n’avait jamais fréquenté de snack miteux ou de restaurant moyens en étant petite, c’est en grandissant qu’elle faisait entorse au règlement mais en tout honnêteté, elle revenait sans cesse aux sources.

Si l’université lui plaisait ? Disons que oui, cela ne faisait pas longtemps qu’elle avait accepté ce poste. Elle ne donnait que quelques cours, surtout aux dernières années. C’était surtout des séminaire , des lectures critiques, des analyse d’œuvres. Elle avait hésité à accepter ce poste, retourner dans cette université, là où on lui avait dit qu’elle n’était pas à la hauteur. C’était comme une petite revanche, elle n’était peut-être pas une artiste, mais elle avait réussi à accomplir quelque chose et on lui avait demandé de partager son savoir. « Hm, disons que cela ne fait pas très longtemps mais cela me plait assez. Et les étudiants sont plutôt conciliants avec moi. Il faut les comprendre, je peux briser leur carrière en un seul coup de plume… » lui répondu-t-elle avec un léger sourire. Il faut l’avouer, elle aimait beaucoup avoir ce petit pouvoir entre les doigts, un seul mot, un seul article pouvait déterminer la carrière d’une personne ou du moins l’influencer. Elle n’avait aucun problème avec son métier, elle savait qu’elle pouvait être assez objectif pour juger les œuvres des autres.

Aileen remarqua le serveur non loin, elle lui fit signe discrètement d’avancer. Il s’exécuta et leur demanda ce qu’ils souhaitaient à boire. « Ce sera un verre de champagne pour moi. » Aileen ne buvait pas beaucoup mais elle ne disait jamais non à un verre de champagne, dans la sphère où elle évoluait, elle était un ovni car elle s’arrêtait souvent après un verre et malgré le fait qu’on essayait de lui en refiler d’autre, c’était non, et il était difficile de la faire changer d’avis. Cela lui arrivait de faire des écarts mais c’était assez rare. Elle n’avait pas besoin de dire lequel, le serveur la connaissait assez bien pour sélectionner leur meilleur. Elle laissa Simon commander sa boisson, elle n’aimait pas imposer ses choix. « Sinon, ça se passe bien à la librairie ? Il faudra sans doute que j’y passe bientôt, j’ai quelques lectures à rattraper…» Surtout sur que depuis qu’elle enseignait, elle devait être à jour et élargir ses points de vues.

Simon eut un large sourire complice quant Aileen affirma que rien n'était trop beau pour eux. Ils venaient tous deux du même genre de famille, où la réussite se montrait. C'était souvent un poids pénible quand on était enfant. En ce sens, être la fille d'un illustre artiste ou le fils d'un lord anglais était bien la même chose. On vous serinait à longueur de temps les choses à faire ou ne pas faire, et quoique vous fassiez, ce n'était jamais assez.
Alors, oui, on pouvait bien plaisanter sur les goûts de luxe acquis dés le biberon.
Simon imagina très bien les étudiants se tenir à carreaux devant Aileen de peur de dire adieu à leurs rêves. C'était un peu cruel, mais si ils étaient assez sots pour tenter de rendre chèvre Aileen... Certains ne savaient qu'ils étaient à l'université pour apprendre.

"Oh, j'imagine qu'il doit y en avoir des vrais motivés dans le lot, non ? Qui sait si tu ne vas pas aider le futur William Turner de Hashford Hill ?"

Quand Simon avait cru qu'il pourrait faire professeur, c'était de cela dont il rêvait : faire partager son amour des livres, et éveiller la fièvre de l'écriture chez quelqu'un qui aurait un vrai talent. Finalement ce qu'il n'avait pas pu faire à l'université, il le faisait à la librairie. Au bout de cinq ans, il avait ses clients fidèles, et des nouveaux qui revenaient en général. Parce qu'ils s'y sentaient bien, tout bonnement.
Simon commanda un verre de vin, qu'il pourrait siroter tout le long du repas. C'était bien plus simple.

"Tout va bien à ce qu'il me semble. Evidemment, si on regarde strictement le chiffre d'affaire, j'ai de quoi me payer royalement un salaire d'employé de banque. Mais ce n'est pas ça qui compte, après tout. Ce qui compte, ce sont les clients contents de leurs lectures, ce sont les étudiants qui me demandent conseil pour leurs devoirs sur tel ou tel auteur. J'ai embauché même une vendeuse à mi-temps, une gamine qui reprend ses études...et que j'ai envie d'encourager. Elle fait montre d'un caractère assez étonnant je dois dire. Je vais avoir tantôt de nouvelles rides, je le sens." dit-il en riant doucement. Puis, il reprit, en souriant à Aileen. "Mais passe quand tu veux, bien entendu ! Si tu sais déjà quels livres tu veux prendre, je te les mets de côté."

Simon n'allait pas empêcher qui que ce soit de lire, tout de même ! Et si ça distrayait intelligemment Aileen... Elle donnait bien le change, rien à dire. Sauf que Simon savait par Cordélia qu'Aileen souffrait. Tout ça pour une vulgaire histoire d'emploi du temps incompatibles. Fallait que l'amour soit superficiel pour succomber à ce genre d'arguments quand même ! Au fond, lui qui paraissait si flegmatique ne concevait pas qu'on ne se batte pas jusqu'au bout et qu'on aime pas avec ardeur. Il ne le disait pas, évidemment. Même Will ne se doutait pas de ça.

» Bouquin d'Aileen
» Any fool can criticize but not like me...(Aileen)